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Genre : Reportage

Thématiques :  Économie, agriculture - pêche 

Région : Martinique

Titres : Des vies aussi qui se fissurent.. Le silence et la prudence des sinistrés    /  Locataires effrayés, propriétaires affolés...   /   " Tourner la page, retrouver ma dignité "

Publication papier : mai 2011

 

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FORT-DE-FRANCE                                                                      Des vies aussi qui se fissurent... Le silence et la prudence des sinistrés

 

Trois semaines après le glissement de terrain de Morne Calebasse. 

 

Premiers jours de mai. Le bruit sec des craquements du Morne Calebasse retentit. Un glissement de terrain impressionnant, provoqué par de fortes pluies. Le sol du Temple de la mission évangélique et plusieurs maisons s'est ouvert en deux. Des sinistrés à la rue...

Sur le terrain, les élus foyalais constatent les dégâts et prennent les premières mesures d'urgence. Située entre Morne Calebasse et Moutte, une zone rouge, interdite d'accès par la municipalité, où une vingtaine de familles est expropriée. Trois semaines plus tard, qu'en est-il ? Difficile d'obtenir des informations. Les médias ne sont plus les bienvenus. Les rares sinistrés qui veulent bien leur répondre sont peu loquaces. « On ne parle plus à la presse » . « Pourquoi ? » . « Parce que certaines choses seront mal interprétées et se retourneront contre nous » , s'empresse de répondre l'un d'eux, avec un certain agacement...

 

La discrétion de mise 

 

Cet homme fait partie des sinistrés qui s'organisent dans leur coin, en silence... Avant de rétablir un contact, contrôlé cette fois-ci, avec les médias. Dans les prochains jours, un communiqué doit informer la presse de la constitution officielle d'un collectif. « Nous sommes une quinzaine. Notre porte-parole parlera le moment venu et choisira de donner ou non la ligne de conduite que l'on va adopter » , précise l'un d'eux. En attendant, officiellement, personne ne parle. La mairie, elle aussi, se fait très discrète sur l'évolution du dossier. Mardi prochain, elle dressera un état des lieux de la situation : résultat de l'étude des sols et avancées des dossiers.

Au départ, suite au glissement de terrain, dix-sept familles étaient directement concernées par une procédure de relogement. D'emblée, sept avaient décidé de s'organiser elles-mêmes, sans aide municipale. Sur les dix familles restantes, trois ont déjà trouvé un nouveau domicile, par leurs propres moyens ou ceux de leur assurance. Des propositions de logements sont faites aux sept autres familles restantes. Selon la mairie, quatre sont en passe d'accepter les logements proposés et doivent emménager la semaine prochaine. Mais pour certains, la situation piétine. « C'est compliqué. On ne correspond pas aux critères pour vivre en HLM et les rares propositions qu'on nous fait ne nous conviennent pas. Un F2 à Trinité alors qu'on travaille et vivait à Fort-de-France, par exemple » , confie brièvement un propriétaire sinistré. « Tout seul, je m'étais débrouillé et j'avais trouvé un logement. Je devais emménager mais à la dernière minute, ça a capoté » . « Là, je suis préoccupé, dans des soucis » , laisse échapper un autre.

Ce week-end, comme quatre autres familles, il passe la nuit dans un hôtel foyalais. L'hébergement est prévu jusqu'au mardi 31 mai.

 

 

Des vies aussi qui se fissurent... Locataires effrayés, propriétaires affolés...?

 

 

Angoisse, tristesse, résignation et colère sont les sentiments qui prédominent au quartier Morne-Calebasse. D'un côté, des propriétaires qui restent au chevet de leurs maisons, de l'autre, des locataires qui prennent leurs jambes à leur cou.

Stationné au beau milieu de la rue du Bel Horizon, au volant de leur grand camion blanc, trois ouvriers municipaux obstruent une partie du passage. « On place des murets en béton pour empêcher les véhicules de passer. On a commencé petit à petit depuis les fortes pluies mais aujourd'hui, on barre complètement l'accès principal » , explique l'un d'eux.

La scène se déroule devant des riverains impressionnés et totalement impuissants. « Cela fait trente ans que j'habite ici. J'ai l'habitude de voir des éboulements mais ils n'ont jamais été aussi dramatiques » , raconte Germaine. Les souvenirs ressurgissent et les commentaires fusent. Il y a trop de « je-m'en-foutisme, ici. Nos principaux responsables sont des trompeurs, » s déclare Laurent. L'homme a acheté sa maison il y a vingt ans, grâce à un prêt contracté sur quinze ans et remboursé 800 euros par mois. Le fruit de « sacrifices intenses, de repas maigres et de longues années sans voyager » .

 

Outrés et désabusés 

 

Au contraire de Laurent, Josiane et Jérémy n'ont toujours pas fini de payer leur maison. Ils y résident depuis dix-sept ans. « Alors, il me reste encore trois années de prêt : 700 euros par mois, et je suis obligée de payer. À côté, je paye 2000 euros de taxe foncière et 900 euros de taxe d'habitation par an, » calcule Josiane. Sa crainte : se retrouver dans la même situation que sa voisine, dont la maison qu'elle n'a pas fini de payer, s'est écroulée. « Après avoir passé trois jours à l'hôtel, on a dit qu'on allait la loger en HLM. Elle devra payer ses traites et le loyer du logement aussi » résume cette dame angoissée.

Plusieurs propriétaires le disent : s'ils connaissaient les risques, ils n'auraient jamais entrepris de construire ici. Très vite, c'est la colère qui domine. « Ce n'est pas possible de se moquer des gens comme ça, on ne doit pas faire ça! La mairie et les promoteurs n'auraient pas dû vendre. Ils savaient, nous, on ne savait pas qu'avant il y avait une rivière là et tous les autres risques qu'y vont avec. On ne peut pas vendre quelque chose qui n'est pas vendable, on ne peut pas couillonner le peuple comme cela, ce n'est pas possible! » crie Josiane.

Outrés, désabusés, les propriétaires tentent de résoudre les soucis au fur et à mesure. Depuis samedi, pas d'eau, pas de téléphone, mais dans l'immédiat, c'est le problème du temps qui devient le plus préoccupant. « Le ciel se charge. Ah non, la pluie, surtout pas, on n'a pas besoin de ça. » s'inquiète Germaine. De nouvelles pluies provoqueraient sûrement de nouveaux glissements de terrains et endommageraient des maisons encore épargnées. « On nous a dit qu'on va nous faire déménager s'il pleut et que la maison d'à côté s'écroule. Quant au Temple de la mission évangélique, s'il s'effondre, on est tous perdus » , s'angoisse Josiane.

 

Partir au plus vite

 

Pour leur part, les locataires déménagent déjà. Ils s'empressent pour faire leurs cartons. Quelques maisons plus haut, des logements sont déjà vides. « Nous sommes dans une dynamique où nous faisons tout notre possible pour partir au plus vite, » confie Annick. La jeune femme est mal à l'aise. « Je suis angoissée parce que j'ai peur que la situation empire. Il y a un sentiment d'insécurité, de gêne parce qu'il n'y a plus beaucoup de personnes ici. »

Avec les moyens du bord, son compagnon et elle déchargent le domicile qu'ils louaient depuis trois ans. « On n'a pas le choix. On va tout transporter à pied. » L'accès au domicile en voiture n'est possible qu'en 4X4. Selon un déménageur professionnel, c'est la raison pour laquelle on ne croise qu'un seul camion de déménagement alors que beaucoup de riverains plient bagages. « Samedi, toutes les sociétés de déménagement étaient là. Depuis dimanche, l'accès est impossible et il n'y a plus personne, que moi. » , affirme t-il. Table, chaise et autre meuble, sur son dos, à l'image d'un mulet, il transporte le mobilier dans une descente sinueuse. Au passage du coup d'oeil, il en est à sa troisième maison, celle de Jocelyne. « Je pars, j'ai beaucoup trop d'appréhension. Je ne peux plus rester ici, » livre t-elle, tout en chargeant ses déménageurs.

Chercher une nouvelle location, elle le fera, mais pas maintenant. Elle affirme avoir besoin de se reposer un peu. En attendant, elle va loger chez sa soeur. Plusieurs locataires sont dans le même état d'esprit. Ils espèrent chasser de leurs têtes les images de ce cauchemar. Les propriétaires, eux, rêvent d'un dénouement heureux mis restent très inquiets.

 

 

Des vies aussi qui se fissurent... « Tourner la page, retrouver ma dignité »?

 

 

TÉMOIGNAGE. Colette Cléry est hébergée provisoirement dans un hôtel. Et après ? 

 

Colette Cléry fait partie des sinistrés qui sont provisoirement logés dans un hôtel foyalais. Elle ignore pour combien de temps encore. La famille se partage une chambre d'hôtel qui leur a été octroyée par la mairie. « On ne paye pas pour loger ici. Le petit-déjeuner nous est offert. Pour le reste, on doit se débrouiller tout seul. » Jusqu'à quand ?

L'assistante sociale de la mairie prospecte pour leur trouver un logement.« C'est toute une organisation. Plein d'émotions mélangées. » Colette a dû cesser de travailler quelques jours. Les deux enfants, eux, continuent d'aller au lycée. « Ils sont traumatisés, ils pleurent mais on leur parle beaucoup. On leur explique que l'essentiel c'est qu'on soit vivant tous les quatre. » Colette ne le montre pas mais en réalité, elle est tout aussi désorientée que ses proches. « Je suis mère de famille, je ne peux pas m'écrouler, je ne peux pas me laisser aller. Je n'ai pas d'autre choix que de me battre. »

Cette force, Colette la puisse dans tous ceux qui lui viennent en aide. « Le professeur du lycée Schoelcher a été compréhensif. Quand je suis venue excuser mon fils qui n'avait plus de matériel il m'a spontannément proposer de l'aide pour les livres et des vêtements. Et puis il y a aussi le service social de la mairie, et mes amis qui sont rares mais formidables. Oui, grâce à eux, je tiens le coup. »

 

Angoisse et colère

 

Quand Colette est seule, l'angoisse et la colère l'envahissent. « Je ne comprends pas comment tout cela a pu se produire. Comment les autorités ont pu laisser faire. Depuis plus de vingt ans, ils étaient au courant du problème, ils savaient que ça allait arriver. Mon oncle décédé l'avait clairement signalé. À côté de nous, deux maisons se sont déjà écroulées suite aux intempéries. » La famille vivait dans une maison familiale construite il y a plus de 55 ans, sur la route de Moutte. « L'énorme faille du Temple se poursuit jusqu'à chez nous et traverse notre maison qui s'est ouverte en deux. » Les souvenirs sont douloureux. « Tout s'est passé très vite.« En rentrant à son domicile, jeudi dernier, elle a observé des feux de ralentissement et croisé un employé du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières). « Il a noté 18 points de fissures. Le lendemain, il nous a demandé de prendre l'essentiel et de quitter immédiatement les lieux. » Malgré l'interdiction d'accéder à sa demeure, Collette a quand même tenté de récupérer davantage d'effets personnels le samedi. « La maison tremblait. J'ai eu peur, je suis partie. On nous a dit qu'elle va s'écrouler. C'est trop tard, tout ce qui est là-dedans est perdu, toute notre vie. »

Sous peu, elle l'espère, Collette pourra emménager dans un logement sécurisé. Elle parle d'un besoin de retrouver sa dignité. « On ne pourra pas dire que c'est un déménagement puisque rien n'a été préparé. J'ai pris de grands sacs et je les ai remplis avec tout ce qui me passait sous la main. Sur le coup, ce qui m'a paru important, ce sont les papiers et les albums photos de mes enfants. »

D'autres photos, la famille souhaite en prendre : des images d'une « nouvelle vie » qu'ils rêvent beaucoup moins fissurée.